La dynastie BEAT
La famille BEAT
Il n'est pas possible de parler de Paul BEAT et de son fils Robert séparément, tout au moins en ce qui concerne l'activité de décorateur, mais surtout sans les replacer dans le contexte familial.
En effet, à partir de la fin du 19ème siècle, la quasi totalité des membres de cette famille lilloise, originaire aux temps anciens du Béarn (Saint-Béat), va se consacrer aux arts plastiques : peinture, sculpture, décoration et maintenant cinéma, et ce jusqu'à nos jours sans interruption.
Le schéma généalogique ci-dessous est l'éclatante preuve de cette continuité :
Paul Béat Joseph Chauleur + Jeanne Chauleur
(peintre et décorateur) (peintre) (peintre)
1874 - 1945 1878 - 1963 1879 - 1965
I
I I_______________________________I
I I
Robert Béat + Madeleine Béat-Chauleur
(peintre et décorateur) (peintre et décorateur)
1903 - 1990 née en 1903
I____________________________________________I
I
Jean-Paul Béat
(peintre et décorateur)
né en 1928
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I I I
I I I
Dominique Béat Gilles Béat Pascal Béat
(styliste) (réalisateur de cinéma) (cartographe)
né en 1948 né en 1949 né en 1951
Joseph CHAULEUR était professeur aux Beaux-Arts de Lille et il avait acquis une certaine renommée, comme son épouse grâce à une peinture très académique issue directement du 19è siècle. Tous les deux sociétaires des Artistes Français, Jeanne CHAULEUR-OZEEL y obtint la médaille d'or des paysagistes.
Condisciples de Paul BEAT, leur fille Madeleine devient en 1926 la femme de Robert BEAT. Aquarelliste de talent, sculpteur renommé, Mad BEAT fut dès son mariage prise dans le tourbillon BEAT et elle aussi participa souvent aux activités de décoration de son mari et de son beau-père.
Actuellement la succession est assuré par Jean-Paul BEAT également peintre et dont l'atelier de décoration poursuit la tradition familiale. A la dernière génération on trouve Dominique BEAT la styliste, Pascal BEAT le cartographe et Gilles BEAT le réalisateur de films à succès comme "Les longs manteaux", "Rue barbare", "Dancing machine".... En fait sur trois générations il y a six peintres ce qui est quand même exceptionnel.
La tranche de l'histoire de cette famille qui nous intéresse va de la naissance de Paul BEAT en 1874 à la mort de son fils Robert en 1990.
L'atelier de décoration
On a parfois tendance à considérer l'activité de décoration comme un art mineur et pourtant Michel-Ange à la Chapelle Sixtine ne fit pas autre chose, avec génie certes, mais en utilisant des techniques et procédés artistiques immuables.
Si Paul et Robert Béat sont des peintres bien différents, nous avons malgré tout regroupé dans ce chapitre leurs activités de décoration car ils ont travaillé ensemble durant près de trente ans élevant l'atelier au rang d'une véritable entreprise.
A la sortie des Beaux-Arts de Lille vers 1895, Paul Béat habile dessinateur, crée des décors de papiers peints pour une fabrique lilloise et commence à faire des décors.
Jusqu'à la guerre de 14, il va décorer des maisons particulières, des cinémas et même peindre des fresques dans les églises. Mobilisé pour le temps de la guerre, il n'abandonne pas ses pinceaux puisqu'il est chargé du camouflage qui est aussi une forme de décoration.
A son retour, c'est la grande époque des trompe-l'oeil, des fresques narratives et allégoriques : "la folle époque" fête tout ce qui se présente et il faut bien des décors pour cadres de ces festivités.
L'atelier Béat est devenu une véritable entreprise surtout que dès son plus jeune âge, Robert travaille avec son père qui est pour lui en ce domaine, une sorte de maître d'apprentissage. Cet important essor va trouver son apogée en 1937.
En effet depuis plusieurs années, Paul et Robert Béat sont en quelque sorte les metteurs en scène de la Loterie des Régions Libérées (Loterie Nationale), ils ont même inventé la sphère qui servira au tirage jusqu'à l'arrivée de l'électronique. Leur succès est tel qu'ils se voient confier l'aménagement et la décoration du Pavillon des Flandres à l'Exposition Universelle de 1937 et ils y récoltèrent tous les deux une médaille d'or. Deux ans plus tard, le succès aidant, Paul Béat est nommé directeur de l'atelier d'art (50 ouvriers) chargé de l'ensemble de la décoration de l'Exposition Internationale du Progrès Social de Lille et Robert de la réalisation entre autres d'une fresque monumentale de 300m de long sur 7m de haut. On voyait très grand en 1939, malheureusement Hitler aussi qui envahit la Pologne au moment où s'ouvre ladite exposition... Bien évidemment l'atelier ferme ses portes et la famille Béat quitte Lille.
En 1945, Paul Béat étant décédé, Robert reprend ses activités et comme précédemment, 30 ans plus tôt, son fils Jean-Paul, après ses études d'architecture aux Beaux-Arts de Lille, travaille avec lui. Jusqu'en dans les années 70, l'activité de décoration qui comprend même la création de meubles et l'installation décorative de magasins est si importante que Robert Béat ne peint plus qu'en vacances. Avant de passer à la production picturale de chacun, il est important de noter que Robert Béat a fait aussi quelques décors de théâtre (La Passion, Volpone) et illustré des livres en particulier : "Dominique" d'Eugène Fromentin, "En passant par le nord", et "Les corps ont soif" d'Olivier Déchan, père du peintre Renaud.
Paul BEAT, peintre :
Il est certain que c'est la peinture qui a amené Paul Béat à faire de la décoration car ses études aux Beaux-Arts furent faites en section peinture. De plus ses tableaux n'ont jamais cette sorte de raideur académique des oeuvres de décorateur, elles respirent la vie et la joie qu'elles procurent, comme l'était Paul Béat lui-même : jovial, bon vivant, infiniment sociable et heureux de vivre.
Ses premières oeuvres sont évidemment empreintes de ses études récentes et l'on y sent l'académisme du 19ème siècle mais très rapidement l'artiste va laisser sa nature généreuse s'exprimer sur la toile. Signe prémonitoire peut-être, Paul Béat est né à quelques mois près, au moment où commençait l'exposition chez Nadar en 1874 qui vit la naissance de la plus grande révolution artistique de tous les temps et qui se nommera, presque par accident "Impressionisme".
Voilà le grand mot est lâché, et il est indéniable que Paul Béat suit dans sa technique les leçons des peintres de Chatou, non par plagiat mais parce que son tempérament l'y porte naturellement. D'abord son amour de la nature, mais aussi la conscience qu'il a de la fragilité de celle-ci et de la fugacité des bonheurs qu'elle donne par son harmonie parfaite.
Il peint par touches, voire pointillisme, des couleurs chaudes et chatoyantes et c'est la lumière qui anime la toile, la composition et lesdites couleurs quoique parfaites, n'étant là que pour servir celle-ci.
En fait, on trouve dans ses oeuvres un heureux mélange des différents courants de la peinture figurative de ce début de siècle : post-impressionisme, fauve, école de Pont-Aven, pointillisme et même parfois cette douceur brumeuse des peintres de l'estuaire de la Seine. D'ailleurs, il a travaillé à Honfleur sur la côte normande, et au cours des vacances familiales dans les Vosges, en Belgique (Bruges, Courtrai) au Pays Basque et surtout en Bretagne qui fut son territoire de prédilection. Tout d'abord à Chatelaudren, où Mme Béat s'était réfugiée pendant la grande guerre puis sur la côte nord de la Bretagne. Paul Béat planta aussi son chevalet à Douarnenez et au Pays Bigouden, mais à la fin des années 20 et le début des années 30, c'est évidemment à Pont-Aven et dans toute la région qui entoure l'embouchure de l'Aven.
Ainsi de cette période datent : "L'embouchure de l'Aven", "Les lavandières", et aussi "Mer grise à Port-Manech".
De retour du Pays-Basque à l'automne 1940, la famille Béat va s'installer à Falaise, pour fuir la guerre et Lille occupée, jusqu'en Juin 1940 après le terrible bombardement de la ville. En 1922, Paul Béat est reçu comme sociétaire au Salon des Artistes Français et il y exposera régulièrement jusqu'à la guerre, avec toujours beaucoup de succès.
Depuis ses débuts, il expose aussi tous les ans, au Salon des Artistes Lillois et ce durant presque 40 ans. C'est une sorte d'institution qu'il ne fallait pas manquer, tout comme annuellement l'exposition familiale à Lille qui réunissait Paul, Robert et Madeleine. Après le décès du grand-père ce fut son petit-fils Jean-Paul qui le remplaça pour conserver la tradition de cette exposition triangulaire.
En résumé ce qui frappe dans l'oeuvre picturale de Paul Béat c'est sa spontanéité, sa chaleur communicative et bien que techniquement parfaite, son éloignement de l'oeuvre du décorateur, comme si le peintre voulant se libérer de la fiction des décors éprouvait l'impérieux besoin de retourner à la réalité de la vie.
Robert BEAT, peintre :
Il est né le 26 mai 1903 à Lambersart, banlieue de Lille, mais c'est dans la rue Jordaens de cette ville qu'il passera sa vie, dans une étonnante maison qu'avec son père et sa femme Mad ils avaient transformée en un paradis de peintre et de décorateur. Vraisemblablement Robert Béat dessinera avant de savoir écrire, chez les Béat on nait le crayon à la main.
De santé fragile, il suit les cours des Beaux-Arts le plus régulièrement possible, mais en réalité c'est Paul Béat qui sera son véritable professeur. Il faut dire que l'élève a de sérieux dons et dès l'âge de 18 ans, en 1921, il fait aux Artistes Lillois, avec son père sa première exposition. Bien évidemment dans ses oeuvres de jeunesse, l'influence de ce dernier est flagrante, mais très rapidement Robert Béat va s'en libérer.
Ceci s'expliquant par un tempérament totalement différent. Robert est calme, infiniment sensible, plutôt introverti et peu sensible aux honneurs et au public. En fait il peint plus pour lui même que pour les autres, la toile et le pinceau étant les moyens d'expression de cet homme naturellement timide. D'ailleurs à part la traditionnelle exposition familiale et les Artistes Lillois annuellement, il n'exposera pratiquement jamais à l'extérieur sauf une ou deux fois aux Artistes Français.
Au début donc, il peint surtout des paysages aux tons doux et pastels mais dès la fin des années 20 sa peinture devient plus ferme et colorée, presque violente par instant dans le choix des couleurs qui restent malgré tout dans une tonalité mineure.
A cette époque, si les paysages restent encore ses sujets favoris il commence à faire des portraits et au cours des vacances en Bretagne, au Pays Basque vers 1935 il croque des scènes de genre avec des personnages pris sur le vif.
Alors, la touche est épaisse, large et les tons se sont égayés tout en restant très forts.
Jusqu'après la guerre, il faut remarquer sa technique toute particulière spécialement pour les portraits qui sont faits de touches de couleurs très contrastées, et dont l'opposition a pour but de donner du volume et un éclairage net délimitant l'ombre et la lumière.
Des fresques qu'il réalise en décoration, il retient la technique de construction incorporant par exemple, dans un paysage, ou dans une scène animée, un visage en premier plan. On retrouvera d'ailleurs constamment dans l'organisation de ses toiles un souci de "prises de vue" original : proue de bateaux alignés comme des colonnades de temple, vue plongeante sur les quais avec des personnages courbés par l'effort, arcades de rue en premier plan donnant une impression d'extrême profondeur du champ, etc...
Etonnants portraits de basques et de bretons (Pays Bigouden) dont il ressort une force, une puissance qui jaillissent de la toile, un peu comme si influencé par le travail de sa femme Mad, il cherchait à sculpter véritablement la matière peinture.
Il est certain que la guerre de 40 fut une importante cassure dans la carrière artistique de Robert Béat car après celle-ci l'activité de décoration s'étant considérablement développée il lui restera peu de temps pour peindre. Ainsi resta-t-il sept années sans exposer.
Heureusement entre temps son fils Jean-Paul est arrivé à l'atelier et désormais ils peignent et exposent à trois : ROB, MAD puis MAB (Madeleine Agnès Béat) et JEAN-PAUL.
La peinture de Rob (c'est ainsi qu'il signe) est devenue moins technique, et a gagné naturellement en vivacité et en spontanéité.
Exemple, les scènes de rue peintes à Saint-Tropez, à Villefranche, en Espagne, au Portugal, en Forêt Noire et toujours en Bretagne (pays bigouden et presqu'île de Quiberon) sont plus douces que précédemment faites d'un seul coup de pinceau ont une surprenante véracité.
D'une manière générale et quelles que soient les périodes, Robert Béat fut, comme son père, toujours à la recherche de la meilleur technique pour piéger la lumière et la transposer sur la toile. Détail amusant, il avait une sainte horreur, disait-il, de la peinture abstraite, et pourtant, vers la fin de sa vie il est assez facile, dans certaines oeuvres ("Rue de Pampelune") de trouver une "non-figuration" évidente.
Comme quoi, Robert Béat fut toute sa vie un artiste en évolution perpétuelle, sachant parfaitement que derrière le réel visible se cache l'impalpable, l'informel que seul les êtres exceptionnels peuvent atteindre.
Quand on sait l'immense travail de décorateur qu'il exécuta et l'importance de sa production picturale, on constate que cet homme fragile en apparence, avait en lui une force de création artistique absolument gigantesque.
Conclusion :
De l'oeuvre de Paul, de Robert, de Madeleine le sculpteur, des grands-parents Chauleur et enfin de Jean-Paul, de leurs peintures, de leurs décors, de leurs fresques, de leurs sculptures en un mot de tout ce qu'ils ont créé en presque 100 ans de production, il fallait en achèvement, une sorte de synthèse du tout, Gilles Béat l'a parfaitement réalisé au cinéma en y ajoutant peut-être l'essentiel, c'est à dire le mouvement.
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